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Acacia

dimanche, octobre 21, 2007

Doris Lessing, sa danse avec le siècle

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Doris Lessing vient de se voir attribuer le prix Nobel de littérature 2007. Née en 1919 en Perse, elle a grandi dans l’ancienne Rhodésie. Elle entre au pensionnat, puis travaille comme employée de bureau avant de se marier, en 1939. Elle publie son premier roman, «Vaincue par la brousse», en 1950, et connaît un succès mondial avec « Le Carnet d’or » (1962). Tour à tour communiste, anticolonialiste, antiraciste, elle a publié une quarantaine de livres, dont le dernier vient de paraître en France sous le titre «Un enfant de l’amour» (Flammarion) (lire dans l’Obs de cette semaine le portrait de la romancière). Bien avant de la revoir à Paris il y a deux semaines, je l’avais rencontrée chez elle, à Londres, il y a quelques années, dans la maison où elle habite depuis vingt ans. Racontant l’entrevue, j’écrivais : « Un petit jardin, trois poubelles entourées d’herbe folle, des carreaux en damier qui précèdent le perron. Coup de sonnette, un silence. Elle attend là-haut, en robe de coton bleu, élégante et sévère, s’assied sur un canapé bas couvert d’un vieux tissu : elle trône ainsi par terre. Des coussins, des tapis, des livres – et cette voix douce, précise et claire, qui raconte magnifiquement l’une des plus fantastiques aventures intellectuelles du XXème siècle. » Voici cet entretien.
Votre enfance est extraordinaire. A cinq ans, vous connaissiez déjà la moitié du monde.
Je suis née en Perse, dans l’ancienne Iran, à Khermanshah. Mes parents et moi, nous avons déménagé à Téhéran, puis nous avons traversé la Russie en train, juste après la Révolution. Nous sommes restés six mois en Angleterre, et puis nous avons pris un bateau très lent pour l’Afrique du Sud, un train très lent pour Salisbury, en Rhodésie, où mes parents avaient acheté une ferme. Ils l’avaient choisie à cause de la vue, qui était très belle, ils étaient très romantiques.
Ils n’étaient pas effrayés par la jungle, les maladies, les animaux sauvages ?
C’était surtout les serpents. J’ai été élevée dans l’une des régions de la planète les plus infestées d’animaux de ce genre. Eh bien, même si nous étions, mon frère et moi, dehors toute la journée, la plupart du temps pieds nus, nous n’avons jamais été mordus. Parce que nous avions appris à ne pas monter sur un rocher sans regarder où nous mettions les pieds. Quand les serpents rentraient dans la maison, ma mère prenait le revolver de mon père et leur tirait une balle dans la tête, à bout portant.
Comme au Far-west !
Ma grande chance a été de voir tous ces animaux en liberté, qui sont aujourd’hui dans des réserves. Il y avait des léopards dans les collines à côté, tous les oiseaux qu’on peut imaginer. Maintenant, la brousse est vide. C’est à pleurer.
Plus tard, quand vous avez quitté la Rhodésie, vous avez souffert de ne plus vivre ainsi dans la nature sauvage?
Oui, c’est ce qui me manque. J’ai bien un crapaud dans mon jardin. Mais ce n’est pas exactement un léopard…
Pourquoi vos parents ont-ils décidé de s’installer dans la brousse ?
Mon père était employé de banque. A la fin des années 20, tout a commencé à aller mal. La Rhodésie, c’était un pays neuf. Les hommes qui perdaient leur travail s’en allaient dans la jungle avec un fusil et une pelle pour chercher l’or. Ils vivaient là des années, c’était très dur.
Vous avez été confrontée très tôt au spectacle de la misère. En Russie quand vous avez traversé le pays avec vos parents, plus tard en Afrique.
C’est vrai, mais j’avais la chance d’avoir mes parents qui m’expliquaient tout ça. Je savais qu’il y avait eu la Révolution en Russie. Il y avait une misère atroce. Les femmes essayaient de vendre quelques œufs, un peu de pain, les orphelins mendiaient. Leur pauvreté était déchirante. Ils n’avaient rien à espérer.
Vos parents aussi souffraient du manque d’argent ?
C’était leur problème principal. Mon père était toujours malade. Il avait été blessé pendant la Première guerre. Il était amputé, avec une jambe de bois, pas comme les prothèses qu’on fait aujourd’hui, c’était un vrai bout de bois. Quant à ma mère, elle haïssait cette vie, mais à un point ! Elle a eu une existence épouvantable. Il m’a fallu des années pour le comprendre. C’était une bonne petite bourgeoise anglaise, qui aurait dû vivre à Londres et se marier à un docteur. Au lieu de quoi elle était piégée dans cette brousse sans possibilité de revenir en Angleterre parce qu’elle n’avait pas un sou, avec à ses côtés un mari qui agonisait. Elle était comme en cage.
Vous racontez dans votre autobiographie que vous avez vu vos parents, un soir, prenant le frais sous la véranda, terriblement abattus, vieillissants et las. C’est à ce moment que vous vous êtes dit : « Pas moi ». Vous avez pris la décision de vivre une autre vie.
Oui, je me suis jurée de m’en sortir. Je veux dire, de ne jamais me retrouver piégée comme ils l’ont été.
Vous avez manifestement réussi.
C’est ce que vous pensez.
Vous en doutez ?
On ne s’en sort jamais.
Pourtant, vous avez mené la vie d’une femme libre.
Je préfère ne pas en parler.
Pensez-vous vraiment qu’on puisse connaître une telle liberté ? Mais vous avez montré, à tous égards, une extraordinaire indépendance d’esprit. Vous êtes devenue écrivain, communiste, vous avez épousé un réfugié Juif allemand juste après la Seconde guerre mondiale, le militant Gottfried Lessing. Vous avez divorcé deux fois. On est loin de cette petite vie qui semblait toute tracée.
Oui, j’ai tourné le dos à tout ce que je détestais. Mon second mari détestait cette vie autant que moi. Il avait connu à Berlin un style de vie très sophistiqué, et il a vécu, le pauvre, avec une fille des colonies très peu civilisée. Maintenant, je le plains de m’avoir épousée.
C’est à cette époque que vous avez décidé de vous installer à Londres.
Oui, c’était en 1949. Tout était gris, les bâtiments étaient en ruines. La ville était épouvantable. Il n’y avait pas de cafés, les vêtements étaient hideux, et tout le monde allait se coucher à dix heures.
Pire que dans la brousse.
Oh oui ! Et puis surtout, on rencontrait partout des gens qui revenaient d’un front quelconque. La démobilisation a pris beaucoup de temps. Mais soudain, à la fin des années 50, tout ça a disparu. La nouvelle génération ne voulait plus entendre parler de cette guerre. Et maintenant, dans les rues, on croise toute la nuit des foules de jeunes qui semblent ne jamais aller au lit. C’est formidable.
Qu’en est-il de vos engagements, quels sont vos plus récentes colères ?
Ce qui me met en colère, c’est que plus personne n’est en colère ! Les gens sont prêts à tout avaler aujourd’hui. Nous acceptons toutes les formes possibles de corruption, et c’est très dangereux.
Vous avez été communiste, mais pas très longtemps.
Personne n’est plus communiste, mais tout le monde l’a été à un moment de sa vie. C’est le seul Parti auquel j’ai adhéré. Aujourd’hui, je suis plus intéressée par les petites causes.
L’Afrique de votre enfance n’existe plus. Mais l’Europe de la première moitié du siècle n’est-elle pas elle aussi une civilisation disparue ?
Vous avez raison. J’ai connu l’Empire anglais, tous les Empires européens à l’exception de l’Empire allemand, l’Union soviétique, Mussolini et Hitler, l’idée de suprématie blanche, et je pourrais continuer à l’infini. Tout cela n’est plus, or à l’époque, ces régimes et ces idées semblaient éternels. C’est pourquoi je considère peu de choses comme étant vraiment définitives.
La structure de certains de vos livres, « Le Carnet d’or » par exemple, est d’une grande complexité. Dans vos derniers livres, c’est tout le contraire.
J’aime les histoires. Il est très important d’en lire à nos enfants, parce qu’ils ne les oublient jamais.
Votre mère vous en racontait ?
Oui. Et c’est ce dont je lui suis le plus reconnaissante. Elle inventait des histoires.
Vous voyagez beaucoup ?
Moins maintenant. J’ai tant voyagé quand j’étais plus jeune, en Europe, en Australie, aux Etats-Unis. Je n’arrêtais pas. Je suis allée en Nouvelle-Zélande il y a cinq ans, mais j’étais si fatiguée que je n’ai pas pu quitter ma chambre. Alors j’ai arrêté ces grands voyages. Mais beaucoup de gens m’écrivent, du monde entier.
Vous leur répondez ?
Oui. Je leur envoie des cartes postales. Je n’ai pas de secrétaire.
Nabokov avait aussi beaucoup de courrier, mais il avait sa femme pour s’en occuper.
Comme la comtesse Tolstoï, qui réécrivait les romans de son mari jusqu’à treize fois de suite. Mais vous connaissez la vieille blague: une bonne épouse, c’est ce qu’il faudrait à une femme comme moi.

Source: http://didier-jacob.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/10/11/doris-lessing-sa-danse-avec-le-siecle.html

mercredi, octobre 10, 2007

AMOUR

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Je t'aime, Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.

Paul Eluard